Le Blog de Zénon

Sunday, May 20, 2007

The Speed of Dark, by Elizabeth Moon

Un roman qui a pour héros un autiste de haut niveau. Il travaille pour une multinationale au sein d'une équipe d'autres autistes matheux dans la conception de nouveaux algorithmes et la recherche de 'patterns' dans des données expérimentales médicales et pharmaceutiques. Ce département tente de développer de nouveaux algorithmes sous une nouvelle approche, du fait de la structure neurologique particulière des autistes-matheux, de leurs aptitudes et de leurs handicaps propres.

Ce roman donne une vision décapante du monde de l'entreprise vue par les yeux d'un autiste, qui donc, a tendance à dépasser les faux-semblants, et à échapper au folklore de l'entreprise et à tout le cinéma qu'on fait autour, (ainsi qu'à la plus grande partie du contexte social là ou ailleurs) pour voir les faits de la manière la plus factuelle qui soit, c'est à dire entre autres choses l'affligeante réalité de l'entreprise telle qu'elle est, et qui voit bien les "leaders naturels" autoproclamés de l'entreprise pour les trous-du-cul qu'ils sont.

Le pitch du roman, est le suivant: il arrive un traitement (nanotech / rétrovirus + traitements médicamenteux) qui pourrait transformer des autistes adultes en "normaux", et l'entreprise exerce de fortes pressions pour qu'ils suivent ce traitement, pour des raisons visiblement pas très claires (raisons d'images ? mise au point de leur traitement expérimental ? En tous cas ça n'est pas très clair... Et la suite de l'intrigue montrera que la motivation est peut être même encore plus trouble qu'elle n'en a l'air).

Le problème, du point du vue du héros, c'est qu'être autiste ça n'est pas seulement un handicap, c'est sa personnalité, c'est (entre autres) sa structure neurologique particulière qui fait qu'il aime ce qu'il aime et qu'il pense ce qu'il pense, et c'est même à cause de (ou grâce à) son syndrôme qu'il est très performant dans le travail qui est le sien et qu'il aime faire. Alors, doit-il s'intégrer à tout prix dans une société "normale" en tant que sujet "normal" ? Faut il sortir de sa place à part pour être accepté comme pair par des gens et accomplir les mêmes gestes apparemment absurdes et autres rituels inutiles que ses amis normaux? Le prix pourrait en être sa personnalité, son amour pour la musique de Bach et de Schubert (ou en tous cas une transformation de la perception de la musique qu'il aime tant), et plus généralement un changement de perception de toutes les choses qu'il aime faire et des raisons pour lesquelles il aime les faire...

L'écriture d'Elizabeth Moon est agréable et facile à lire, le héros est méthodique, lent, logique, un peu obsessionnel, il avance doucement mais constamment. Les persos centraux sont très bien vu. L'auteuse est très bien renseignée sur les "high functionning autistic disorders" et les "autistes de haut niveau" (i.e. avec le langage), elle décrit très bien les difficultés sur certaines choses de la vie quotidienne, les choses qu'il déteste et pourquoi, ou ce qui l'ennerve et pourquoi, les routines et rituels qu'il entreprend et quel est leur rôle, ou ce qu'il remarque en priorité et qui le fascine et comment et pourquoi il peut s'y absorber pendant des heures. Bref, l'auteuse est très bien renseignée, (malgré une paire de "glitches" où elle ne repecte pas les règles de ce qu'elle a elle même décrit par ailleurs, ce qui a du échapper aux relecteurs probablement pas assez focalisé sur l'autisme, et qui me font penser que l'auteuse ne doit pas être elle même autiste).

L'histoire est très bien vue et très agréablement écrite, présentée sous un point de vue original. Elle fait bien sentir le filtre de perception différent qui s'intercale entre la réalité et le héros: là où notre attention serait attirée en priorité sur des visages humains ou des voix humaines ; le filtre de perception du héros traitera en priorité les couleurs, les nombres, les répétitions, les motifs, et les détails. L'attention du personnage principal et ses intérêts sont atypique. C'est souvent un motif de la moquette ou un alignement formé par tels ou tels objets qui sera remarqués en premier par les persos principaux alors que la voix humaine est percue comme un simple bruit parmi d'autre sauf si il se concentrent dessus et essaient de décoder les mots, et les visages humains ne sont que des formes parmi d'autres pas très faciles à reconnaitre, et surtout pas de loin... Elizabeth Moon reproduit presque la réussite de Mark Haddon dans "the curious incident of the dog in the night time" en faisant d'un personnage central autiste une personne crédible et étoffée. (Le roman de Mark Haddon n'est pas de la SF, c'est juste un adolescent Asperger qui découvre des secrets familiaux). Son monde est un futur proche pas très différent du notre mais avec des idées assez bien vues sur le futur de la médecine, de la justice, de la nanotech et de pas mal d'autres sujets perçus à travers la vie quotidienne.

C'est un roman sympathique et bien monté, pas mal centré sur l'autisme, mais que je conseille à tous les amateurs de SF, sur la problématique de que c'est que d'être soi même. Est-ce que la technologie qui permettrait de pallier à ses problèmes et de compenser ses faiblesses ne ferait pas de nous quelqu'un d'autre ? et autres questions du même ordre (ça me rappelle par certains côtés des romans de Greg Egan comme Diaspora ou Permutation City, dans lesquels les persos peuvent reprogrammer leur propre esprit puisqu'ils sont de simples modèles neuronaux (+modèles corporels) "uploadés" dans du hardware, et qu'ils vivent dans un monde virtuel, et où les questions d'indentité, de volonté, d'ego et de changement prennent de nouvelles dimension).

La fin du roman n'est pas aussi intense que ce que je l'avais espéré: un retournement peu attendu et peu expliqué (voire peu crédible) suivi d'une fin ... un peu courte. Mais bon, je suppose qu'elle avait déjà dit tout ce qu'elle avait à dire. Et j'ai passé un bon moment avant cette fin...